Palestine – 60 ans après – le droit au retour des réfugiés

La question des réfugiés palestiniens, qui est posée depuis 60 ans, concerne l’ensemble de la communauté internationale, non seulement parce qu’elle a donné lieu à des dizaines de résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU, mais parce qu’elle fut la conséquence d’une décision de l’ONU de partager la Palestine en deux et un des trois points de la solution du conflit que ce partage a engendré (avec celui des frontières de l’Etat dans la lignes d’avant la guerre de 1967 et celui du partage de la souveraineté sur Jérusalem). Et, d’une certaine façon, elle a un rapport avec la paix dans le monde. Aujourd’hui, le « droit au retour » des réfugiés palestiniens est une question devenue d’une grande complexité. Ici elle sera beaucoup traitée sous l’angle du droit car c’est ainsi qu’elle est souvent posée alors qu’en fait c’est une question politique et c’est politiquement qu’elle sera réglée.

La « question des réfugiés » a souvent été – et est encore – utilisée par toutes les parties. Longtemps présentée par les pays arabes, par tous les responsables politiques palestiniens comme le crime fondateur, la tâche sur Israël, elle est aujourd’hui affichée par cet Etat comme une menace contre son existence même, ce que plus grand monde ne croit même si personne n’ose le dire. Dans un autre registre, le droit au retour a été le slogan fondateur de l’OLP, le ciment d’un peuple dépossédé, dispersé, nié dans son existence. Les camps de réfugiés ont été le creuset de la lutte nationale. Mais derrière tous ces concepts, ces débats d’idées, il y a des centaines de milliers, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants qui attendent, à titre individuel et collectivement, d’avoir tout simplement un avenir.

En 1947 et 1948, environ 800.000 Palestiniens furent expulsés de force ou obligés de quitter leurs terres. Ils pensaient rentrer peu après la guerre. Mais le gouvernement Israélien fit tout pour les en empêcher. Aujourd’hui ils sont environ 7 millions de personnes

Les réfugiés dans la population palestinienne – quelques définitions

D’après la Charte de l’OLP, dans sa version française tirée de« L’agenda Palestine – 1981 » – Union générale des étudiants de Palestine (G.U.PS),

  • Article 5 : Les Palestiniens sont les citoyens arabes qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’en 1947, qu’ils en aient été expulsés par la suite ou qu’ils y soient restés. Quiconque est né de père palestinien après cette date en Palestine ou hors de Palestine, est également palestinien.
  • Article 6 : les Juifs qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’au début de l’invasion sioniste seront considérés comme palestiniens.Quant à la définition du réfugié palestinien, elle découle des faits et s’inspire de la définition (restreinte) qu’en donne l’UNRWA – acronyme anglais de l’Office de secours et de travaux pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (cf. ci-dessous la création et le mandat de cette organisation) pour définir ceux qui peuvent bénéficier de son assistance :

Les réfugiés palestiniens sont les personnes

  • 1. dont la résidence normale était la Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 ;
  • 2. qui ont perdu leurs maisons et leurs moyens de ressources comme résultat du conflit de 1948 ;
  • 3. qui se sont réfugiées dans l’un des pays ou régions où l’UNRWA prodigue une aide ; 4. qui sont les descendants en ligne masculine des personnes remplissant les conditions 1 à 3.

Soixante ans plus tard, cette définition est à compléter. En effet, la politique suivie par le mouvement sioniste puis par l’Etat d’Israël de 1947 à 1949 s’est poursuivie. Il y eut une deuxième vague d’expulsion à la fin de la guerre de 1967 puis destruction, colonisation, dissuasion de mille et une façons y compris en utilisant l’arme économique, et ce jusqu’à ce jour, pour inciter les Palestiniens à quitter le pays (les territoires occupés palestiniens). On pourrait résumer ainsi la définition des réfugiés palestiniens : les Palestiniens contraints de quitter leur pays à partir de novembre 1947 et qui ne peuvent y retourner, qu’ils soient ou non sous assistance de l’UNRWA et quel que soit leur statut officiel.

Ces quelques rappels et les statistiques (cf. encadré 1) font ressortir l’urgence d’une solution à un problème trop ancien et trop prégnant dans la société internationale. Intervenu au milieu du XXe siècle, période de la naissance de l’ONU et de l’émergence du droit international, ce problème aurait dû trouver une solution par le droit.



Encadré 1

En termes quantitatifs, aujourd’hui, le problème des réfugiés palestiniens non seulement n’est pas réglé, mais il s’est aggravé. Il y a donc ceux qui sont enregistrés comme tels par l’UNRWA ; ils se trouvent dans des camps en Palestine occupée (à Gaza et en Cisjordanie), au Liban, en Jordanie, en Syrie. Mais certains, dans ces pays, se trouvent aussi hors des camps et ne sont pas enregistrés par l’UNRWA. Et il y a aussi ceux qui ne sont pas ou plus enregistrés par l’UNRWA parce qu’il n’ont pas eu ou n’ont plus besoin de demander l’assistance de cet organisme ; ils se trouvent un peu partout dans le monde.

Ci-dessous un tableau des personnes enregistrées par l’UNRWA

Statistiques UNRWA 31 décembre 2006
Champs d’opérations Camps officiels Familles en camps enregistrées Réfugiés en camps enregistrés Réfugiés enregistrés
Jordanie 10 63.591 328.076 1.858.362
Liban 12 50.806 215.890 408.438
Syrie 9 26.645 119.055 442.363
Cisjordanie 19 39.895 186.479 722.302
Bande de Gaza 8 93.074 478.272 1.016.964
TOTAL 58 274.011 1.327.772 4.448.429

Il y a donc un peu moins de deux millions de personnes enregistrées comme réfugiés par l’UNRWA en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et plus de deux millions et demi dans les autres pays couverts par l’UNRWA.

L’estimation des réfugiés palestiniens non enregistrés par l’UNRWA – qu’ils aient ou non acquis la nationalité du pays d’accueil – est difficile à faire car ils ne sont pas souvent comptabilisés en tant que tels. Cette diaspora est importante et large. Sans compter les personnes qui, dans ce qui est devenu Israël, ont été chassées de chez elles sans pouvoir y retourner, il y a les réfugiés non enregistrés par l’UNRWA au Liban, en Jordanie et en Syrie, il y a ceux dans les autres Etats arabes : Algérie, Arabie saoudite, Egypte, Emirats arabes unis, Koweit, Libye, Oman, Qatar. Et ceux de tous les autres pays, essentiellement en Europe et en Amérique du nord et du sud. Au total, il faut compter entre deux et trois millions de personnes.

De surcroît, des Palestiniens ont reçu un statut de réfugié dans des pays où l’UNRWA n’est pas présent et sont enregistrés comme tels selon la définition de la Convention de Genève de 1951. Mais par exemple ils perdent ce statut s’ils acquièrent une autre nationalité. Or, dans ce cas ils n’en sont pas moins des réfugiés palestiniens d’après la définition que nous en avons donnée ci-dessus.



Le droit – Rappel des principaux textes

Le problème éminemment politique des réfugiés palestiniens, point de blocage principal de toutes les négociations entre les parties, semble parfois ne pas recevoir de réponse claire du droit international si souvent invoqué. Car le statut des réfugiés palestiniens est resté un sous-statut pour un peuple qui s’est retrouvé sans terre, sans pays, et qui attend toujours que lui soit reconnu son droit – inaliénable – à l’autodétermination.

Il faut d’abord mentionner ce qui fait désormais partie du capital universel, la Déclaration Universelle des droits humains du 10 décembre 1948 (article 13) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (article 12) qui proclament le droit de toute personne de circuler librement, de quitter tout pays y compris le sien et de revenir dans son pays. Dès le début, le mouvement sioniste puis l’Etat d’Israël a dénié les droits humains universels aux Palestiniens pour mieux les exclure de leur terre. Mais en violant délibérément les droits humains des Palestiniens, en tentant d’empêcher ceux-ci de s’exprimer en tant que peuple, Israël a obligé ces derniers à forger et à défendre leur identité collective, et c’est collectivement qu’ils défendent tous leurs droits. Ainsi en est-il de leur droit au retour.

Dès le 11 décembre 1948, sur la base d’un rapport du Médiateur des Nations unies, le Comte de Bernadotte qui vient d’être assassiné, l’Assemblée générale de l’ONU adopte la Résolution 194 sur la Palestine qui, dans son article 11 :

Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principe du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables.

Donne pour instructions à la Commission de conciliation de faciliter le rapatriement, la réinstallation et le relèvement économique et social des réfugiés, ainsi que le paiement des indemnités, (…).

A la suite de cette résolution, les réfugiés palestiniens n’ont pas été autorisés à regagner leurs foyers.

Le 8 décembre 1949, l’Assemblée générale adoptait la résolution 302 sur l’aide aux réfugiés de Palestine qui créait l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (acronyme anglais : UNRWA).

Le rôle de l’UNRWA a été considérable en matière non seulement d’assistance alimentaire, mais de santé, d’éducation et de création d’emplois pour les réfugiés. Créée pour trois ans (renouvelables), cette organisation vient d’entrer dans sa 59e année d’existence, ayant à faire face à des besoins accrus avec des moyens en baisse…

Mais la résolution 302 indique bien que l’UNRWA n’a qu’un rôle d’assistance pour les réfugiés palestiniens et pas la moindre fonction de protection juridique, sociale, civile. D’où, dans certains pays, en particulier au Liban, de multiples problèmes de statut, d’accès à l’emploi, de titres de voyages, de droits sociaux, etc. Cependant, pour nombre de réfugiés palestiniens, en particulier ceux qui n’avaient pas de titres de propriété à faire valoir, leur enregistrement sur les registres de l’UNRWA est la seule preuve qu’ils sont bien des « réfugiés palestiniens », chassés de leurs foyers ou incités à les quitter, ou descendants de personnes chassées de leurs foyers ou contraintes de les quitter. Et, pour cette raison, ils ne voudront pas quitter les camps tant que la question des réfugiés palestiniens ne sera pas résolue. Pour eux, et comme le suggère le texte de la résolution 194, l’UNRWA disparaîtra quand le problème sera résolu… Et le problème n’est pas résolu. Ils craignent que toute solution en dehors de l’UNRWA ne soit interprétée comme le fait que la question est résolue.

Pendant et après la guerre de juin 1967, dans laquelle Israël s’est emparé de la Cisjordanie avec Jérusalem-Est et de la bande de Gaza, plusieurs centaines de milliers de personnes ont encore été chassées de chez elles, augmentant le nombre des réfugiés palestiniens. Après la guerre, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté le 22 novembre la résolution 242 par laquelle il affirme (…) la nécessité (…) de réaliser un juste règlement du problème des réfugiés ; (…) Pour les réfugiés de 1967 – certes, certains d’entre eux étaient déjà des réfugiés de 1948 sous protection de l’UNRWA – il n’a pas été prévu de dispositions particulières. Mais, par sa résolution 2252 du 4 juillet 1967 l’Assemblée générale de l’ONU a autorisé l’UNRWA à leur « fournir une assistance humanitaire, autant que cela est possible, dans l’urgence et en tant que mesure temporaire,(…)  » ces personnes étant « déplacées et ayant un réel besoin d’assistance immédiate suite aux récentes hostilités ». Quarante ans après nous sommes toujours dans cette situation temporaire.

Le droit au retour, un droit individuel

Au cours des années, la question de la Palestine a été à l’ordre du jour de l’ONU pratiquement à chaque session, et la résolution 194 de l’Assemblée générale souvent rappelée et réaffirmée. Par exemple, le 22 novembre 1974, dans sa résolution 3236, et le 10 novembre 1975 dans sa résolution 3376, elle réaffirme

  • a) l’exercice par le peuple palestinien de ses droits inaliénables en Palestine, y compris le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure et le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales ;
  • b) l’exercice par les Palestiniens de leur droit inaliénable de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d’où ils ont été déplacés et déracinés ;

Ces deux résolutions marquent la distinction que fait l’ONU entre, d’une part, les droits inaliénables du peuple palestinien, droits collectifs qui ne peuvent être exercés par aucune autre entité collective, en particulier le droit à l’autodétermination et à l’indépendance et, d’autre part, le droit inaliénable des Palestiniens au retour, droit individuel qui concerne les personnes elles-mêmes et ne peut pas être transmis à d’autres ou exercé par d’autres personnes.

Que signifie que le droit au retour, du point de vue du droit international est un droit individuel ? Non seulement qu’il n’est pas transmissible aux descendants des personnes expulsées, contrairement à leurs droits patrimoniaux qui eux leur sont transmis. Mais aussi que ce droit leur appartenant en propre, son exercice ne peut être négocié par personne.

Comment le problème se pose-t-il soixante ans après ?

En 1948 et en 1967, la question du droit au retour aurait pu, d’un point de vue juridique, être réglée. C’était sans compter avec la détermination du mouvement sioniste et la paralysie d’une grande partie de la « communauté internationale » de l’époque, et depuis lors. Cette question n’a jamais pu être abordée alors. Elle était absolument tabou côté israélien. Toute personne a le droit de retourner dans son pays. Que signifie « son pays » ?

  • Le pays où il est né
  • Le pays dont il a la nationalité
  • Le pays où il a sa résidence habituelle, en l’occurrence le pays d’accueil

Les personnes expulsées de chez elles ou qui en sont parties en raison des événements – même si elles étaient à l’époque des nouveaux nés – et leurs enfants mineurs, ont le droit théoriquement de retourner dans leur pays de naissance. Ce sont donc les personnes qui aujourd’hui ont plus de 60 ans pour les réfugiés de 1948 et leurs enfants mineurs si elles en ont encore.

Mais, troisièmement, cela pose une difficulté pour ceux nés dans ce qui est devenu depuis l’Etat d’Israël, lequel ne veut pas entendre parler de droit au retour des Palestiniens bien qu’aujourd’hui ces personnes soient de moins en moins nombreuses.

Le retour est un droit, mais ce droit se heurte à la souveraineté des Etats qui s’exprime notamment en matière d’attribution de la nationalité et du droit de résidence. Jusqu’à aujourd’hui on n’a pas les moyens concrets de contraindre un Etat à admettre sur son territoire une personne qu’il ne veut pas admettre. Et c’est là que l’on perçoit les limites du droit international quand il se heurte au principe d’effectivité (l’effet du temps sur les faits accomplis) et à la souveraineté des Etats.

Il est de la plus haute importance symbolique que le droit de retourner dans ce qui est devenu Israël soit reconnu par Israël et puisse être appliqué, s’ils le demandent ,à ceux qui y sont nés. Ceux-ci accepteraient donc de vivre dans un pays qui, bien qu’il soit leur pays de naissance, est devenu très différent de ce qu’ils ont connu ou qu’ils imaginent, où l’on parle une autre langue que la leur, où majoritairement et ostensiblement on pratique une autre religion que la leur, et qui, en fait, ne veut pas d’eux. Mais ce serait leur choix.

Donc, les Palestiniens qui n’y sont pas nés n’ont pas plus le droit, au regard du droit international, de « retourner » dans ce qui est aujourd’hui Israël que toute autre personne qui n’y a jamais vécu et qui n’y est pas née si Israël ne le veut pas. Il ne veut d’ailleurs même pas qu’ils y viennent en visite.

Pourquoi, rétorquent beaucoup de Palestiniens, les Juifs du monde entier ont-ils le droit de « retourner » en Palestine ? La réponse est qu’Israël n’a juridiquement aucun « droit historique » sur cette terre. Simplement, l’Etat d’Israël, créé à la suite d’une décision de l’ONU, a inscrit dans son droit interne, en vertu de la souveraineté de l’Etat (notamment en matière d’entrée sur le territoire et d’octroi de la nationalité), dans une loi qu’il appelle « la loi du retour », que les Juifs (ou les personnes ayant deux grands parents juifs) du monde entier ont le droit d’obtenir la nationalité israélienne et de s’installer dans le pays, et cela d’où qu’ils viennent. Là, on sort du domaine du droit international. Si le droit international admettait le droit de s’installer à un endroit pour des raisons prétendument « historiques », quel danger ce serait pour la paix ! Il a fallu un traumatisme d’une exceptionnelle gravité, celui du génocide des Juifs pendant la seconde guerre mondiale, et la persistance du sentiment colonial dans les pays européens, pour qu’une majorité de la « communauté internationale » n’ait pas perçu – ou pas voulu percevoir, ou pas pu exprimer – ce danger.

C’est d’ailleurs cette même logique qui justifie un des thèmes de propagande d’Israël selon lequel les réfugiés palestiniens auraient représenté un « échange de population » avec les Juifs qui ont quitté les pays arabes dans les années 50 ! (Il ne pouvait pas invoquer un échange de population entre les deux parties de la Palestine mandataire tant la différence quantitative des populations arabe et juive était importante au début du siècle sur le territoire en question). Cette allégation est évidemment totalement fausse tant en termes démographiques qu’historiques. L’idée d’échange impliquerait une concertation. Or s’il est désormais établi par les nouveaux historiens israéliens qu’il y a bien eu un plan d’expulsion des Palestiniens, la situation des Juifs des pays arabes est différente. Il est vrai que dans certains pays arabes (par exemple en Egypte), la vie des Juifs était, du fait des guerres de 1948, devenue difficile, voire insupportable et que nombreux sont ceux qui en sont partis ou en ont été expulsés dont une part pour aller en Israël, mais il y a eu aussi dans d’autres pays arabes des mouvements volontaires organisés, des mouvements provoqués par le Mossad (par exemple en Irak), voire de véritables déplacements plus ou moins forcés de populations (par exemple au Yémen).

Pour revenir au droit individuel au retour des réfugiés palestiniens, il ne faut pas perdre de vue que la plupart d’entre eux, n’ont pas cessé, tout au long de leur vie, d’en réclamer l’application, pour eux et leurs descendants. Le fait que l’UNRWA ait inclus dans les bénéficiaires de son assistance les descendants des personnes expulsées à la fin des années 40 a créé la confusion sur le bénéfice du droit au retour, confusion entretenue pour des raisons politiques légitimes qui vont être examinées ci-dessous.

Cette confusion a aussi été largement entretenue et même utilisée par Israël, probablement pour deux raisons : d’une part pour légitimer d’une certaine façon sa « loi du retour » en invoquant une prétendue antériorité de la présence juive sur cette terre, d’autre part pour pouvoir agiter le danger démographique que représenterait la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens, ce qui remettrait en cause l’existence même de l’Etat d’Israël comme Etat juif.

Une revendication politique légitime

Ce qui précède montre que, d’un point de vue strictement juridique, le droit au retour des réfugiés palestiniens concerne peu de personnes et que leur nombre va vers l’extinction. Pourquoi donc une des revendications principales des Palestiniens – et des associations de solidarité avec le peuple palestinien – est-elle justement celle de la reconnaissance du principe du droit au retour ?

Parce que, pour les dirigeants Palestiniens et pour beaucoup de réfugiés palestiniens, notamment ceux qui se trouvent dans des camps de l’UNRWA, il s’agit, même s’ils ne l’expriment pas ainsi, d’un droit collectif, c’est à dire d’un droit non pas de chaque Palestinien mais du peuple palestinien. Si c’est un droit collectif, la décision de son exercice peut être décidée par les représentants de la collectivité (le peuple) et non plus par chaque individu.

Ci-dessus il a été montré que l’énoncé d’un droit collectif au « retour » n’est juridiquement possible pour aucun peuple du point de vue international, sauf à entrer encore davantage dans les conflits inter-communautaires et dans des guerres sans fin

Mais les Palestiniens mettent en évidence le caractère exceptionnel de la situation : substitution d’un peuple par un autre sur un territoire, avec la bénédiction de fait de la « communauté internationale ». C’est tout un peuple qui a été déplacé. C’est tout un peuple qui a été privé de son droit à l’autodétermination, droit collectif celui-ci, qui était prévu par le statut du mandat.

Ce droit collectif n’a pas cessé, depuis 60 ans, d’être revendiqué par le peuple palestinien, même quand celui-ci a accepté de reconnaître l’Etat d’Israël. Et ce droit collectif n’a jamais pu être exercé, parce qu’Israël s’y est toujours opposé et a violé toutes les décisions internationales. Parce que les pays les plus puissants de la Planète ont toujours accepté de céder au chantage d’Israël qui actionne la mauvaise conscience occidentale pour leur interdire toute approche rationnelle.

Alors, les Palestiniens n’acceptent pas que le temps fasse s’éteindre des droits individuels qui n’ont jamais pu être exercés. Ils n’acceptent pas les faits accomplis au prix de tant d’injustice et de souffrances. Pour eux, que signifie le droit inaliénable d’un peuple à l’autodétermination quand ce peuple a été de force éparpillé, divisé, disloqué ? Les Palestiniens peuvent-ils faire confiance à un droit international qui leur dit qu’ils n’ont plus aucun droit sur la terre qui leur est enlevée contre leur volonté, contre la volonté internationale (du moins si l’on en croit les dizaines de résolutions de l’ONU, rapports d’experts, avis de la CIJ), alors que chaque jour un nouveau « fait accompli » se réalise sur le terrain ?

L’expulsion des Palestiniens est une violation originelle de leur droit à l’autodétermination. Le résultat de cette expulsion, leur situation de réfugiés, peut-elle dans ce contexte ne donner place qu’à un droit individuel extinguible ? Et quelle autorité protège ces descendants qui n’ont jamais été que des réfugiés ? Donc, indépendamment des règles du droit international, la reconnaissance du droit au retour est devenu une revendication politique majeure des Palestiniens et de leurs représentants.

Sortir de l’impasse

A ce stade, le problème semble être dans une impasse. Le peuple palestinien, qui comprend une majorité de réfugiés, ne peut pas abandonner son « droit au retour ». Les Israéliens ne veulent pas le reconnaître de peur (réelle ou prétendue) d’être obligés d’admettre sur leur territoire national un nombre tel de Palestiniens que les Juifs y deviendraient minoritaires.

La question des réfugiés palestiniens est inédite au XXe siècle, complexe, difficile à cause des circonstances historiques exceptionnelles qui l’ont fait naître et à cause de sa longévité, mais elle n’est pas insoluble. Déjà, tant du côté du mouvement national palestinien que dans des négociations israélo-palestiniennes, des propositions concrètes ont été avancées. Ainsi :

  • Qu’Israël reconnaisse et répare – au moins partiellement – avec l’aide de la communauté internationale largement co-responsable, l’injustice faite par le mouvement sioniste puis par l’Etat d’Israël à ces Palestiniens, au peuple palestinien. Cette réparation se situe tant sur plan matériel pour chaque individu pour ces 60 ans de déni d’existence, de dépossession et de souffrances, que sur plan symbolique pour la collectivité nationale palestinienne.
  • Que les Palestiniens puissent créer leur Etat dans les frontières reconnues par la communauté internationale et le droit international (cf. l’avis de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004), frontières qui correspondent à la ligne d’armistice de 1949 avec Jérusalem-Est comme capitale. Tous les Palestiniens pourront alors avoir la nationalité palestinienne, vivre en Palestine, ou avoir un passeport palestinien, la protection diplomatique palestinienne où qu’ils se trouvent.
  • En attendant la résolution de la question des réfugiés à la suite de la création de l’Etat de Palestine, les réfugiés palestiniens devraient bénéficier partout où ils se trouvent, y compris dans les pays où intervient l’UNRWA, de droits garantis, par exemple en s’inspirant de ceux garantis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (voir encadré 2). Et surtout qu’ils puissent avoir le choix de leur pays d’accueil.


Encadré 2

Le droit général des réfugiés

En même temps que se jouait le drame palestinien en Palestine, le droit des réfugiés avait progressé au niveau international à la suite d’une longue série de mouvements forcés de populations.

Le droit d’asile est inscrit dans la Déclaration universelle du 10 décembre 1948, article 14. Et, le 28 juillet 1951 était signée à Genève la Convention relative au statut des réfugiés qui assure une protection internationale aux réfugiés et leur donne un certains nombre de garanties tant en ce qui concerne leur sécurité personnelle que dans les domaines civil et social.

La Convention de Genève de juillet 1951 définit le terme « réfugié » en son article premier, A. :

  • toute personne qui, par suite d’évènements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Parmi les points suivants de l’article premier, le point D s’applique particulièrement aux réfugiés palestiniens :

  • D. Cette Convention ne sera pas applicable aux personnes qui bénéficient actuellement d’une protection ou d’une assistance de la part d’un organisme ou d’une institution des Nations unies autre que le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Lorsque cette protection ou cette assistance aura cessé pour une raison quelconque, sans que le sort de ces personnes ait été définitivement réglé, conformément aux résolutions y relatives adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies, ces personnes bénéficieront de plein droit du régime de cette Convention.

La Convention de Genève de 1951 définit le statut qui s’applique aux réfugiés reconnus comme tels par leur pays d’accueil. Celui-ci prévoit un certain nombre de garanties : outre les garanties de non expulsion et de non refoulement, ce sont des garanties concernant notamment le statut personnel, le droit de propriété (mobilière, immobilière et intellectuelle), le droit d’association, d’ester en justice, d’exercer des professions salariées voire des professions libérales, l’accès à tous les services sociaux ou éducatifs, l’obtention d’un titre pour voyager dans tout pays à l’exception du sien. La philosophie de la Convention de Genève de 1951 est que les réfugiés reconnus doivent bénéficier du même régime que les nationaux ou, dans les domaines réservés aux nationaux, du même régime que les étrangers ayant le statut le plus favorable. De surcroît, les réfugiés bénéficient d’une facilité d’accès à la nationalité du pays d’accueil s’ils le souhaitent. Mais le statut de réfugié est conçu comme temporaire. Parmi les solutions possibles au problème des réfugiés, la première solution préconisée par la Convention de Genève de 1951 est celle du rapatriement librement consenti (autrement dit « retour »), à défaut l’installation dans le pays d’accueil ou la réinstallation dans un troisième pays, selon son choix.

En application de l’article 1.D. de la Convention de Genève de 1951, les réfugiés palestiniens qui se trouvent dans un des pays où intervient l’UNRWA (autre organisme de l’ONU) ne bénéficient pas des dispositions de cette convention.



On avait approché une solution concrète lors des pourparlers de Taba en janvier 2001. Un texte remis par les délégués israéliens aux délégués palestiniens reconnaissait la responsabilité de l’Etat d’Israël naissant dans « le déplacement et l’expropriation de la population civile palestinienne devenue ainsi réfugiée. » et ajoutait : « Un règlement juste du problème des réfugiés palestiniens, en accord avec la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies, doit conduire à l’application de la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies. » A partir de ces principes, des solutions concrètes devaient être proposées aux réfugiés palestiniens, tant quant au choix de leur pays d’installation (Israël pour un nombre à déterminer, l’Etat de Palestine, le lieu de résidence, un autre pays prêt à les recevoir) qu’en matière d’indemnisations financières. Mais le Premier ministre Ehoud Barak a alors interrompu les pourparlers de Taba en démissionnant, provoquant les élections qui portèrent Ariel Sharon au pouvoir.

Ces pourparlers de Taba ont démontré que, dès lors que l’on accepte de reconnaître l’histoire, les responsabilités et les aspirations des peuples en conflit, une solution peut être trouvée. Il y a eu ensuite une initiative quasi-diplomatique, dite « initiative de Genève » car elle a été lancée publiquement à Genève sous les auspices de la ministre suisse des Affaires étrangères. Ses protagonistes étaient les négociateurs de Taba mais les partenaires israéliens n’avaient plus aucune responsabilité officielle. Son élan a été brisé par Ariel Sharon qui l’a perçue comme un danger pour son projet d’annexion de la Cisjordanie. Le modèle d’accord qui en est sorti consacrait son chapitre VII à la question des réfugiés : il leur serait proposé 4 options principales : un certain nombre seraient admis à aller en Israël (auraient-ils le choix d’être étrangers résidents ou citoyens ?), ceux qui le souhaitent rentreraient en Palestine (après la création de l’Etat), la plupart resteraient dans leur pays d’accueil avec un statut, selon les cas, soit de citoyen (ils auraient alors la double nationalité) soit de résident étranger, enfin certains pourraient demander à immigrer dans un pays tiers. Tous recevraient une indemnité. Néanmoins, le « texte de Genève » n’est pas satisfaisant sur un point crucial car il n’exprime aucune reconnaissance de la part d’Israël quant à sa responsabilité dans l’exode palestinien (Israël accueillerait un quota de réfugiés dans la même proportion que la moyenne des autres pays !) Mais une combinaison des textes de Taba et de Genève pourrait être la base d’un règlement pour des millions d’êtres humains qui en ont assez d’attendre et qui veulent vivre.

Ceux qui ont eu l’occasion de parler vraiment, personnellement et sincèrement à des réfugiés palestiniens savent bien qu’il y a la double attente : d’une part, être reconnus comme Palestiniens, pouvoir aller visiter librement la terre de leurs ancêtres (pour beaucoup, ce serait une certaine forme d’exercice du droit au retour) ; d’autre part, pouvoir vivre pleinement leur vie, « comme tout le monde », avoir un pays, des droits, pouvoir voyager, travailler, avoir des projets réels, sortir du conflit en ayant une identité reconnue, même s’ils ne retournent pas vivre dans la maison de leurs parents ou grands parents.

On ne peut pas se contenter de constater une impasse. Les hommes, les femmes et les enfants qui sont prisonniers dans cette impasse ont droit à une solution.

Sylviane de Wangen, Membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée

21 mars 2008