Les défis à relever par Nabil Al-Arabi, nouveau secrétaire général de la Ligue arabe.

Le ministre égyptien des Affaires étrangères, au nom prédestiné, Nabil Al-Arabi (l’Arabe) a été élu Secrétaire general de la Ligue arabe, le 15 mai 2011. Il y avait déjà un candidat, le Qatari Abderrahmane Al-Attiya. Toutefois, en raison des réticences de plusieurs pays, Al-Arabi a été appelé à la rescousse. Cette solution a permis à ceux qui l’ont convaincu (les militaires, le gouvernement,) de faire d’une pierre deux coups : cette fois encore, le Secrétaire général de la Ligue est un Égyptien !

Intègre, il avait rompu avec le régime d’Hosni Moubarak en 2001. Très populaire, il a fait partie, fin de janvier 2011, du Comité de trente sages, choisis par les jeunes de la place Al-Tahrir pour dialoguer avec les autorités. Diplômé en droit international de l’Université de New York, Al-Arabi, 76 ans, a été présent dans toutes les grandes négociations internationales auxquelles son pays avait participé.Nommé ministre le 6 mars, il avait, en dix semaines, énergiquement secoué la diplomatie égyptienne déclinante et sous influence américaine. Première grande victoire : le 4 mai, signature au Caire d’un accord de réconciliation entre le Fatah et le Hamas palestiniens. Il na pas hésité ensuite à tendre la main à Téhéran, avec qui Le Caire n’avait plus de relations diplomatiques depuis 1980. Il avait aussi annoncé la levée du blocus de Gaza, illégal du point de vue du droit international, et préparé l’adhésion de l’Égypte à la Cour pénale internationale (CPI). « Faire de l’Égypte un État de droit », est l’obsession de cet ancien juge à la Cour internationale de justice (2001-2006).

Il faut rappeler qu’Amr Moussa, ministre des Affaires étrangères, de 1991 à 2001, a été le Secrétaire général de la Ligue arabe de mai 2001 à mai 2011. Le problème de sa succession s’est posé quand il est devenu candidat à la présidence de la République après la chute de Moubarak. Dans le contexte des révoltes arabes, plusieurs États dont l’Algérie, ont alors estimé que c’était l’occasion de mettre un terme à la règle non écrite mais toujours appliquée depuis la création de la Ligue, en 1945, selon laquelle le poste de Secrétaire général revient au candidat proposé par l’Égypte (toujours un Égyptien) et que son siège est au Caire. La seule exception s’était produite lorsque l’Égypte avait été exclue parce que le président Sadate, en signant les accords de Camp David, avait conclu la paix avec Israël en 1978. Le siège de la Ligue fut transféré à Tunis de 1979 au 10 septembre 1990 et le Secrétaire général fut, pour la première fois, un Tunisien, Chedli Klibi. En 1990, 12 des 21 ont voté le retour du siège au Caire.

Il faut souligner qu’Al-Arabi prend la tête d’une institution en crise : report à mars 2012 du Sommet initialement prévu à Bagdad en mai 2011, cafouillage verbal après la décision de l’ONU de bombarder la Libye, blocage de la réforme de la Charte de la Ligue censée mettre fin à la règle de l’unanimité pour chaque décision…

Les chantiers du nouveau secrétaire général sont donc titanesques. Face à une institution sclérosée et divisée où se côtoient désormais jeunes États « révolutionnaires », vieilles Républiques crispées et monarchies pétrolières fort peu démocratiques, il va devoir redoubler d’audace et d’imagination pour faire honneur à son nom et à sa réputation.

Nombre de dirigeants et de spécialistes se demandent néanmoins si la Ligue arabe va survivre aux révoltes et aux révolutions survenues au Maghreb et au Proche-Orient. Les monarchies et les émirats semblent avoir déjà tranché en annonçant l’élargissement du CCG, Conseil de coopération du Golfe (créé le 25 mai 1981) aux royaumes de Jordanie et du Maroc. Pour défendre leur survie, les six membres du CCG (Arabie saoudite, Bahrein, Émirats arabes unis, Koweït, Oman, Qatar) ont décidé d’en finir avec la fausse solidarité interarabe dont la Ligue arabe est censée être le symbole. Rois et Émirs ont donc pris leurs distances avec des Républiques plus ou moins déstabilisées par les révoltes populaires, estimant leurs orientations futures plus que dangereusement incertaines.

Manifestement, l’Arabie Saoudite aspire à prendre le leadership que l’Égypte assumait au Moyen-Orient. Elle estime que c’est avec le CCG qu’elle peut y parvenir et pas en prenant la tête d’une Ligue arabe moribonde. En outre, la « Sainte alliance » qu’est le CCG, estime qu’elle défendra avec des arguments autrement plus « convaincants » ses intérêts auprès de l’Amérique et de l’Union européenne, surtout s’il est dans l’intention de ces puissances de remodeler l’échiquier régional arabe. On le voit, Nabil Al-Arabi a bien des défis à relever !

Paul Balta, membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée

14 juin 2011