La Syrie, un nouvel échec pour l’ONU ?

Ban Ki-moon était, la semaine dernière, le premier secrétaire général de l’ONU à se rendre à Srebrenica où en 1995 les troupes serbes de Bosnie ont massacré près de 8 000 hommes alors que le Conseil de sécurité en avait fait une zone de sécurité sous la protection de Casques bleus. Massacre qualifié de génocide par la justice pénale internationale… Cette visite a son importance, pour la mémoire des Bosniaques assassinés et leurs familles mais aussi pour les Nations unies qui viennent officiellement, par la voix de leur plus haut responsable, de reconnaître leur faute. Comme l’a dit Ban Ki-moon devant le parlement bosniaque : «Les Nations unies n’ont pas été à la hauteur de leurs responsabilités… La communauté internationale a échoué à empêcher le génocide de Srebrenica… qui résonne comme l’un des chapitres les plus noirs de l’histoire moderne.»

Un an avant Srebrenica, d’avril à juillet 1994, il y eut au Rwanda le génocide des Tutsis commis par les Hutus alors qu’il y avait sur place une «force» des Nations unies essentiellement composée de militaires belges. Après qu’elle a subi une attaque causant plusieurs morts dans ses rangs, le gouvernement belge retire unilatéralement ses soldats ; décision entérinée par le Conseil de sécurité quelques jours après le début du génocide… Le contingent onusien est alors ramené à moins de 300 hommes, soit environ 10% de ses effectifs initiaux. Il faudra attendre le 17 mai pour qu’une autre résolution décide d’envoyer à nouveau des Casques bleus et encore plusieurs semaines pour qu’ils arrivent sur place, après la fin des opérations génocidaires ! En trois mois, plus de 800 000 morts. Et pendant cette période, dans les résolutions sur le Rwanda, le Conseil de sécurité n’a jamais utilisé le terme de génocide alors que ses membres étaient informés de cette tragédie. Dans les deux cas, les contingents de l’ONU se sont retirés avant que le pire n’intervienne.

En Syrie, le contexte paraît différent et, pourtant, on assiste à un scénario étrangement comparable. Au moment où l’armée de Bachar al-Assad utilise tous les moyens, pour écraser les résistants de l’Armée syrienne libre et les civils qui se trouvent dans les zones proches des combats, l’ONU vient d’annoncer la fin de la mission de ses observateurs envoyés sur place pour la mise en œuvre du plan Annan. Il ne reste plus qu’un bureau dont la mission reste vague ; ce qui signifie qu’il ne va servir à rien sinon à se donner l’illusion que l’ONU existe encore !

C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier les propos du chef de cette mission fantôme, le général Babacar Gaye, qui vient de déclarer que les forces des deux camps s’en prennent aux civils. S’il a raison de dénoncer des crimes contre l’humanité quels qu’en soient les auteurs, il n’a pas le droit de mettre sur le même plan les résistants de l’ASL et l’armée d’Assad qui est en train d’assassiner ses propres citoyens. Adopter une telle posture revient à légitimer la sauvage répression du régime et à justifier l’inaction de l’ONU. De même au Rwanda, certains Etats membres du Conseil de sécurité mettaient alors sur le même plan l’arrêt des massacres et l’arrêt des combats entre le FPR et les FAR… Dans les deux cas, on cherche ainsi à camoufler ce qui n’est qu’une honteuse démission.

Personne ne doit être dupe : rien ne sert de critiquer l’ONU comme si elle était une organisation supranationale dotée de véritables pouvoirs. Elle n’est que la résultante de l’action des Etats. Le Conseil de sécurité n’est rien d’autre qu’une instance interétatique qui n’existe que lorsque ses membres parviennent à se mettre d’accord. Ce qui renvoie la responsabilité de cette passivité aux principaux Etats qui le composent et donc à ses membres permanents. La Russie et la Chine bloquent tout depuis le début. Le fait qu’ils n’aient pas apprécié la manière dont la résolution 1973 a été appliquée en Libye a sans doute joué dans leur position actuelle mais on aurait bien tort d’y voir l’explication ultime. Ce sont tous les rapports entre ces deux puissances et l’Occident qui sont en question. Ce bras de fer diplomatique est à mettre au compte des nouvelles recompositions multipolaires. Autant dire que les Etats-Unis et les Européens jouent très gros dans cette affaire vis-à-vis de la Russie et de la Chine, et plus globalement vis-à-vis du monde entier… C’est à eux de parler et d’agir pour faire fléchir, dans et par un compromis global, ces deux «nouvelles» puissances en privilégiant Moscou. Dans cet affrontement politique majeur, on peut regretter que la France fasse si peu entendre sa voix.

Le chef de l’Etat et son ministre des Affaires étrangères ont choisi le ton de la supplique et de l’indignation là où il faudrait qu’un discours de fermeté accompagne des initiatives audacieuses… S’il est important de venir en aide aux réfugiés syriens, la France ne doit pas se retrancher dans l’action humanitaire qui pourrait apparaître comme un substitut à l’action politique et militaire. Et si les choses continuent, ce ne sont plus des ambulances qu’il faudra envoyer mais des cercueils, comme à Srebrenica. Nos dirigeants doivent réfléchir à ce qu’à dit Ban Ki-moon avant de quitter la Bosnie : «Je ne veux pas voir un de mes successeurs venir en Syrie, dans vingt ans, demander pardon de ne pas avoir fait ce que nous aurions dû faire pour protéger les civils syriens.»

Dans Libération,
Août 2012

Jean-Paul Chagnollaud
Professeur des universités,
Directeur de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO)

 

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